Refaire la Révolution tranquille


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Nous voulons [presque] tous refaire la Révolution tranquille.

Manon Massé a été audacieuse en affirmant en campagne électorale que Québec solidaire, parce qu’attaqué de la même manière que le Parti québécois des années 1970, était peut-être bien en train d’initier un mouvement digne de René Lévesque. Aussitôt les boucliers se sont levés, dans les rangs péquistes surtout, ailleurs aussi. On ne se compare pas à un tel symbole de la culture québécoise sans en payer le prix; et le prix a été une accusation de sacrilège – même si un tel mot n’a plus droit de cité vu notre laïcité conquise de haute lutte. Qu’on n’ait pas osé la nommer, c’est dommage. Si elle avait été étiquetée comme telle, par Jean-François Lisée par exemple, on aurait pu s’attendre à ce que certains répliquent que lui-même se comparait probablement souvent en privé au fondateur de son parti... et probablement pas toujours pour s’en croire une pâle réplique.

Nous sommes tous obligés, peu importe nos positions politiques, de voir en René Lévesque un héros national. De même pour Jean Lesage, Claude Castonguay et Paul Gérin-Lajoie – d’ailleurs le déferlement d’éloges auquel on a assisté suite au décès de ce dernier montre bien la marque qu’avait laissée dans l’imaginaire collectif un nom qui n’avait pourtant plus cours que dans l’acronyme d’un concours de dictée. Ils font partie de ce qu’il convient d’appeler le récit fondateur du Québec contemporain.

Une nation, un peuple, une culture n’ont pas de naissance physique datée comme en ont les individus. Trop de corps les constituent et les portent pour qu’on dise que leur vie a commencé à cet instant précis et s’est terminée à tel autre. D’où la nécessité d’évènements qui, à force qu’on y fasse référence, deviennent à posteriori des marqueurs de transition. On peut les dire narratifs non parce qu’ils sont imaginaires, faux ou exagérés, mais seulement parce qu’ils décrivent un objet flou qui doit à la fois se prouver, se justifier, se glorifier et s’inspirer.

Les Français ont la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, la Révolution française et l’Empire napoléonien. Les Étatsuniens ont le Boston Tea Party, la Déclaration d’indépendance et les Pères fondateurs. Nous avons la Révolution tranquille. Bien entendu, toute l’Histoire qui a précédé les années 1960 n’est pas oubliée. Nous nous rappelons encore Jacques Cartier, 1534 et la croix de Gaspé, le Bas-Canada, la révolte des Patriotes, l’inscription dans la Confédération canadienne, Maurice Duplessis... Mais encore, si nous nous souvenons de Duplessis, c’est plus souvent qu’autre chose pour en faire un personnage de la Révolution tranquille : celui qui y a mené, voire l’a rendue obligatoire, par la profondeur de sa Grande Noirceur. La romancière Marguerite Yourcenar a écrit : « Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-même. » Il faudrait plutôt dire que les humains ont deux naissances  une de corps et une d’esprit , mais que les peuples ont le malheur d’en avoir une seule. Ils ont au moins une autonomie totale sur elle, à travers la décision du point de bascule qui vaut la peine d’être raconté et reraconté parce qu’il représente leur identité et leur volonté. Créer et entretenir un mythe fondateur, ce n’est ni du fanatisme ni du déni. C’est un tremplin pour ses projets – qu’ils soient individuels ou collectifs. « Où l’on va » n’est pas déterminé par « d’où l’on vient », et emprunter au passé des figures et des moments marquants pour mieux les imiter, c’est le soumettre à nous plutôt que nous soumettre à lui.

Un des essais les plus factuels, accessibles, précis et exacts de l’édition québécoise a pourtant été accueilli par un silence quasi-total. Vincent Geloso, dans son Du Grand Rattrapage au Déclin tranquille : une histoire économique et sociale du Québec de 1900 jusqu'à nos jours, entendait prouver que le duplessisme n’avait pas été cet enfer qu’on décrit, et que la Révolution tranquille n’avait pas été un paradis non plus. Son discours était voué à tomber dans l’oreille d’un sourd. La question québécoise est ailleurs, et il ne l’a pas bien comprise. De même pour le documentaire L’illusion tranquille de Joanne Marcotte – qui, dans un essai ultérieur, nous a donné ce mémorable concept de la pensée politique québécoise qu’est celui de « gouvernemaman ». Il ne s’agit pas de savoir si quelques gouvernements supplémentaires de l’Union nationale, et quelques gouvernements libéraux et péquistes en moins, auraient fait qu’aujourd’hui nous serions tous plus riches. Posez cette question aux Québécois d’aujourd’hui : « Combien devrait-on vous payer pour que vous acceptiez de vivre dans le Québec d’avant 1960 – ou dans ce que vous pensez qu’il serait devenu s’il n’y avait pas eu de Révolution tranquille? » La réponse de beaucoup d’entre eux serait probablement qu’aucun montant n’est assez élevé pour les convaincre de le faire. Tout a une valeur et donc un prix (c’est-à-dire la quantité de temps et d’efforts qu’on est prêt à fournir pour obtenir quelque chose), mais quand on refuse d’en mettre un et qu’on dit cette chose inestimable, c’est que sa valeur est très élevée. Pour ceux chez qui le récit fondateur est indissociable du projet de vie, la comparaison devient tout bonnement absurde. Ce serait comme demander à quelqu’un combien on devrait le payer pour ne pas être né : dans quelle existence profiterait-il de cette richesse au juste?

Tous les Québécois connaissant leur histoire culturelle peuvent au moins admettre l’impact de la Révolution tranquille sur le cours de leur histoire individuelle. Quand je dis que nous voulons tous refaire la Révolution tranquille, je parle de ceux qui souhaitent en plus participer à l’exercice démocratique d’orientation du Québec. Qu’on soit gauchiste ou droitiste, sécessionniste ou canadianiste, on cherche à s’inscrire dans la lignée de cet immense changement québécois – de cette pure et simple création d’un nouveau Québec.

Une fois ce constat posé, une fois cette entente primordiale établie, on peut sereinement commencer à se demander comment la continuer par d’autres moyens. Car c’est ce qu’il s’agit de faire pour être à la hauteur de tous nos héros nationaux. Être Jean Lesage, Claude Castonguay, Paul Gérin-Lajoie et René Lévesque en 2018, ce n’est pas répondre aujourd’hui aux défis d’hier : ceux-là ont déjà été relevés. C’est s’attaquer à nos propres défis avec l’audace, le courage et la détermination qui ont été les leurs, nous inspirer de leur intelligence, peut-être même les citer par-ci par-là ou, encore mieux, les paraphraser, c’est-à-dire adapter leurs bons mots comme on adapte leurs bonnes idées.

Refaire la Révolution tranquille, c’est d’abord en comprendre le principe, ce qui la rendait pertinente dans son contexte, pour mieux établir ce qui rend la Révolution tranquille que nous désirons aussi pertinente dans le contexte actuel. C’est ensuite en assumer le moyen, dont cette fameuse « tranquillité » qu’on n’a pas encore épuisée (et sur laquelle je reviendrai dans un prochain billet en montrant ses liens avec un supposé « défaut » de la culture québécoise). C’est enfin et surtout se permettre d’y rêver et d’y croire.

La mégalomanie n’est pas un défaut. Qu’on se compare au Québec à René Lévesque si l’on veut; comme en France on peut se comparer à Marat, Danton, Saint-Just, Robespierre et Napoléon; aux États-Unis à Franklin, Jefferson et Washington... Pourquoi pas! Je ne blâmerai jamais qui que ce soit d’utiliser un symbole historique pour s’y projeter. Mais tant qu’il ne s’agira que de projection, l’avenir restera le seul juge possible de la comparaison. Le présent peut bien s’offusquer autant qu’il le veut, peu importe au fond : si on commence soi-même un récit fondateur, le futur nous aura donné raison. Reste à voir si le futur donnera raison à Manon Massé. Reste à voir si c’est chez Québec solidaire qu’on fait les assemblées générales et les lac-à-l’épaules qui poseront les bases du Québec de demain. Reste à voir si, parmi tous les révolutionnaires tranquilles du 3e millénaire, d’autres ne proposeront pas des mots originaux – des mots en « -isme » – qui sauront pointer mieux que ceux de 1960 et de 1970 la direction dans laquelle nous voulons aller.

Commentaires

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