En franglais, s'il vous plait!



Le Parti québécois s’autosécessionne. Quoi de plus cohérent, pour un parti québécosécessionniste, que des sécessions internes s’y déroulent fréquemment? On ne tient à faire partie d’une institution que dans la mesure où elle nous correspond. No cotisation without representation. Cette fois, la ligne de fracture est la question de la diversité ethnoculturelle. Jean-François Lisée a eu beau essayer, lors de la campagne électorale de 2018, de compenser les AK-47 sous les burqas en disant que la Vérificatrice générale serait responsable de déterminer le nombre idéal d’immigrants que le Québec pourrait recevoir, la proposition a été insuffisante : la différence intergénérationnelle était devenue trop évidente. En opportuniste assumé que je suis, j’aimerais rebondir sur ces différence, fracture et sécession pour soulever une question qui m’est chère, et promouvoir l’idée que celle-ci, comme celle de la diversité ethnoculturelle, mérite aussi une mise à jour dans la représentation politique : la question de la langue.

De la loi 101 à la controverse du « Bonjour, hi! », en passant par l’anglophobie d’un Michel Brûlé candidat à la mairie de Montréal et la francophilophobie d’un Mordecai Richler, tout se passe comme si, hors d’un frileux compromis entre les deux langues, aucun salut n’était possible. (Remarquez l’habile jeu de mots.) Peut-être était-ce bien le cas en 1793, année du premier débat politique officiel sur les langues canadiennes illustré par la toile Le débat sur les langues : séance de l'Assemblée législative du Bas-Canada le 21 janvier 1793, peinte par Charles Huot de 1910 à 1913 et encore installée au Salon bleu de l'Hôtel du Parlement du Québec. Mais de même que nous nous sommes demandé si la présence du crucifix là où siège l’Assemblée nationale restait appropriée, on pourrait se demander si ce tableau y a encore sa place. Je pourrais aussi me contenter d’une réponse positive, avec cet ajout : « Mais en tant que simple artéfact historique ».

Ce qui m’attriste cependant, c’est qu’une chose aussi vivante que la langue soit traitée législativement comme une chose morte, historique, figée. D’aucuns craignent de « perdre leur langue » sans réaliser qu’ils ne la perdront pas tant qu’ils la parleront, et que personne n’a demandé qu’on les empêche de la parler. Pourtant en voulant obliger les autres à la parler, ce n’est plus sur « leur » langue qu’ils interviennent, c’est sur celle des autres; et ils interviennent en faisant « perdre leur langue » aux autres, ce qu’ils craignaient pour eux-mêmes. Car chacun a sa langue (l’organe et le lexique), qui s’inscrit dans l’institution du langage, mais s’en différencie aussi. Chacun reçoit en héritage par éducation et imitation les règles linguistiques, mais les personnalise et les adapte à soi. En un mot : un locuteur est créé par le langage des autres, puis il crée sa langue. C’est grâce au socle collectif que la communication est possible, mais c’est à cause des personnalisations, des adaptations, disons techniquement des « idiosyncrasies » qu’elle n’est pas assurée. C’est aussi ce qui la rend forte : le fait qu’elle évolue, pour des raisons pratiques ou esthétiques, dans le discours de chaque locuteur; et aussi le fait que par elle, chaque locuteur agit autant sur soi que sur les autres.

Dans le discours d’un certain Parti québécois, voire de nombreux éléments de tous les partis québécois confondus, on perd cet élément autonomisant (« autonomisation » est la traduction française du plus connu anglophone « empowerment ») que constitue le fait d’être toujours en train de réinventer la langue en la parlant. La parenthèse même que je viens de faire me permet de répondre d’emblée à ce qu’on me répliquera probablement. « Mais le français est si riche! Et l’anglais est privilégié structurellement par la toute-puissance étatsunienne. C’est la raison pour laquelle il faut défendre le français. » Non seulement le français est une langue riche, mais c’est une langue en constant enrichissement. Le travail de notre lexicographe nationale, Marie-Éva de Villers, pour inclure dans son perpétuellement réédité Multidictionnaire de la langue française ce que le langage courant produit et propage; la tâche colossale de l’Office québécois de la langue française (OQLF) qui propose des mots francophones équivalant au vocabulaire toujours en expansion, mais souvent anglophone, des nouveaux savoirs et des nouvelles techniques; autant d’éléments qui participent à une immense création de valeur lexicographique. Mais on ne défend pas une langue; on attaque avec elle. Notre proximité avec les États-Unis nous profite sous tellement d’aspects. Pourquoi ne le ferait-elle pas aussi en termes linguistiques? Rehaussons-nous par la compétition avec cette géante qu’est la langue étatsunienne, autant sur nos territoires que sur ceux de nos voisins : seule méthode que j’admets, parce qu’elle ne porte pas atteinte à l’autonomie linguistique.

Je suis le premier à adopter les versions francophones de mots anglais plus connus, et à faire toutes les parenthèses nécessaires, à l’oral et à l’écrit, pour les expliquer. Oui, je parle de « collimage » plutôt que de « scrapbooking ». Oui, je parle de « divulgâcheur » plutôt que de « spoiler ». Par contre, je préfère « autophoto » à « égoportrait » pour traduire « selfie ». Mais je ne me gêne pas pour placer toutes les phrases anglophones que je souhaite dans mon discours. J’abuse des « Oh well », « Oh my God! », « weekend » et autres expressions que je trouve plus appropriées/esthétiques/puissantes en anglais. Et parce que je sais que je maitrise le français sur le bout des doigts – au point d’être capable de jongler en parallèle avec l’ancienne graphie et la graphie rectifiée de 1990, au point de trouver des erreurs dans tous les livres, journaux et manuels que je lis, au point d’avoir développé une véritable obsessionnalité-compulsivité éditolittéraire –, je réplique en mordant à toute personne qui m’accuserait de perdre ma langue maternelle en la mêlant ainsi joyeusement à la langue anglaise (avec ce ton d’accusation du traitre qui semble toujours sous-entendre « la langue de l’envahisseur », sans qu’on sache si on parle de la conquête militaire britannique d’il y a quelques siècles ou de l’intégration culturelle étatsunienne contemporaine, qui n’a absolument rien d’« impérialiste »).

J’y vois quant à moi la continuation de mon individuation linguistique par d’autres moyens. De même que je néologise comme je respire (parce qu’assez souvent ni le français, ni l’anglais, ni les quelques mots épars d’espagnol, d’italien, d’allemand ou d’arabe que je connais ne m’offrent le mot juste pour exprimer mon idée), emprunter massivement à l’anglais me permet de créer mieux, pas de créer moins. On a inventé un joli mot-valise pour nommer cette langue qui fusionne le français et l’anglais : le franglais. S’il existe une langue québécoise, c’est celle-là. C’est de celle-là que je me réclame, avec mon accent anglais cassé, avec mon accent français qu’on croit venir de France même si je m’appelle Tremblay, mais surtout avec les accents circonflexes que j’enlève de bien des mots pour rendre le français plus accessible, parce que je tiens à ce que les générations actuelles et futures l’écrivent mieux. Donc quand je vois et j’entends que Pierre Karl Péladeau a interrompu le discours d’un artiste pour scander « En français, s’il vous plait! », je lève les yeux au ciel et je me dis qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que mes idées trouvent une incarnation politique qui corresponde à l’originalité de ma génération.

Mais Catherine Fournier me donne espoir. Je n’approuve pas tout ce qu’elle dit et pense. Elle ne serait probablement pas d’accord avec moi sur la délégislation linguistique que je souhaite de manière implicite, mais néanmoins très claire, dans ce texte. Ceci dit, dans le parti politique de la jeunesse québécosécessionniste qu’elle fondera peut-être bientôt, j’ose croire que cette volonté serait plus présente et mieux représentée. Moi qui n’ai jamais été membre du Parti québécois, qui n’ai été membre que brièvement du Parti libéral du Québec, je pourrais peut-être même m’y impliquer, s’il arrive un jour. D’ici là, je continuerai contre vents et marées à m’opposer en bloc à une conception du français qui en hétéronomise les porteurs, les utilisateurs et les producteurs. Les locuteurs n’ont rien à perdre que leurs chaines. Ils ont un langage à gagner. Francophones de tous les pays – mais surtout francophones du Québec –, parlez votre propre français!

Commentaires

  1. La première partie fait la part belle aux analogies du point de vue de l’auteur (anonyme) tandis que la deuxième partie révèle le réel propos du texte : apologie de l’individualisme en utilisant des exemples personnels non-représentatifs de la plupart des Québécois (réussir à bien écrire sa langue, repérer les erreurs, utiliser les nouveaux mots français de cette langue vivante au lieu des anglicismes... comprendre la réalité non-bilingue hors de Montréal) pour proposer une vision du français au Québec. Hors, il ne peut pas y avoir de rassemblement et une vision mise en pratique si on limite l’essence de la sécession/indépendance à la langue. Il y a bien plus pour rassembler les Québécois tous ensemble peu importe la langue d’origine: la culture différente du Canada, la perte de développement économique névralgique de Montréal au profit de Toronto depuis l’existance de la loi 101 et de la menace indépendantiste, la proactivité en développement écologiquement durable, la possibilité de créer ses propres lois progressistes (et parfois conservatrices) différentes du Canada et matérialiser, célébrer les différences qui feront émerger un boum créatif et de richesse.

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    1. 1) L'auteur n'est pas anonyme; mon nom est écrit sur la page principale du blogue. 2) Qu'entends-tu précisément par « analogies du point de vue de l'auteur »? 3) Tu parles comme si la défense et l'illustration de l'individualisme linguistique étaient faits de manière hypocrite, ce qui exigerait que tu les révèles; comme ils sont assumés et clamés, ton commentaire est caduc. 4) Il ne s'agissait pas de dire que mon exemple est représentatif de celui de la majorité des locuteurs, mais de l'utiliser comme preuve de la possibilité de faire coévoluer le français et l'anglais, l'un soutenant l'autre. J'ai d'ailleurs dit clairement que le franglais était probablement plus montréalais que québécois. Étant quant à moi plutôt montréalosécessionniste que québécosécessionniste, je peux l'affirmer de manière cohérente. 5) La question de la sécession n'est pas limitée à celle de la langue, mais la question de la langue est ici prise en elle-même, et comme, « accidentellement », ce sont plus souvent les québécosécessionnistes qui ont défendu la législation linguistique, c'est leur remise en question interne qui m'a donné envie d'apporter ce débat (d'où le lien avec l'intro). 6) Certains diraient que « culture » est un mot mal défini, et que le fait que beaucoup d'Angloquébécois aient plutôt un nationalisme canadien que québécois vient en partie du fait que la langue occupe une majeure partie de cette « culture », voire qu'elle va au-delà et englobe et conditionne toute la vie de l'esprit. Tout le reste des arguments évoqués ne méritent pas de réponses puisqu'ils découlent de cette « différence culturelle » extralinguistique prise pour acquise; ceci dit c'est une idée autoréférentielle tant qu'on ne l'a pas démontrée (et on ne peut pas la prouver par la sécession du Québec, puisqu'il serait nécessaire de la prouver pour mener à la sécession du Québec).

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