J’ai eu la chance d’être publié récemment dans La Presse à propos du débat sur la laïcité.
Cet article est une extension de ce que j’ai écrit là-bas. Ceux qui ont apprécié
le premier propos seront par la force des choses [logiques] obligés d’apprécier
celui-là, même s’ils ne le feront surement pas d’emblée. La conclusion intermédiaire
du premier texte était sans doute moins controversée. Il faut dire qu’elle
apportait une arme supplémentaire à la seule qu’ont jusqu’à ce jour utilisé les
opposants à la loi « laïcisante » : la constitution. La
conclusion à laquelle je veux arriver ici invalide cette arme. À une pensée
moins digeste, il faut aussi un développement plus solide. Ce pourquoi j’ai
opté pour le format du billet de blogue personnel, qui n’impose pas de limite
de mots. Si cette réflexion pouvait avoir la même publicité que l’autre, j’en
serais encore plus heureux.
Qu’est-ce qu’une constitution? Un document signé par un
gouvernement élu démocratiquement. Jusque-là, tout semble correct. Mais le fait
est que ce n’est pas une simple loi. C’est une loi-au-carré, une loi-sur-les-lois :
une loi qui rend plus complexe, voire impossible, de changer certaines lois. De
ce fait, ce qu’elle est, c’est une résistance exercée par la génération qui la
signe au départ à tout changement légal que voudraient opérer les générations subséquentes.
Mais la démocratie n’est pas la politique des citoyens décédés ou encore à
naitre; c’est celle des citoyens vivants. Principe d’autonomie : puisqu’ils
sont ceux qui vivront les conséquences de leurs actions, ils doivent être ceux
qui fixent le cadre règlementaire régissant ces mêmes actions. La « majorité
silencieuse » (parenthèse historicopolitique : trop peu de gens le
savent, mais cette expression a été créée à l’origine pour parler de tous les humains
décédés, pas d’une majorité vivante censurée ou mal représentée) n’est pas
celle qui a voix au chapitre dans les institutions démocratiques. Pourtant la
constitution la fait perpétuellement revenir d’entre les morts pour imposer son
frein aux débats contemporains.
On dit que la constitution doit exister pour défendre les
droits des minorités. Qu’est le droit, sinon ce qui est fixé par la majorité? Le
droit est le nom du pouvoir exercé par la majorité – du moins dans un régime
démocratique. Le pouvoir de la minorité sur la majorité a un nom : la tyrannie. Ça semblera un contresens total à ceux qui réduisent le terme de « minorités »
aux groupes persécutés, discriminés, refoulés de la place publique. Il y a
toutes sortes de minorités, que leur statut soit avantageux ou non. Mais l’idée
reste : si une institution politique permet à une minorité de limiter ou de
renverser une décision majoritaire, cette institution n’est pas une démocratie,
c’est une oligarchie, peu importe le nombre des « quelques-uns » (oligo-) en question et peu importe leurs
conditions de vie. Simple question de définition.
Et je réponds d’emblée à un argument qui commence à être
mobilisé et que je tiens farouchement à refuser : qu’en tant qu’homosexuel,
je fasse moi-même partie d’une minorité qui a profité du constitutionnalisme,
dont les conditions de vie se sont immensément améliorées en quelques décennies
entre autres, voire principalement parce que la Charte interdit la
discrimination, ne m’empêche absolument pas d’être ouvertement anticonstitutionnaliste.
Je répudie ces acquis s’ils ont été faits de manière antidémocratique. Je suis
prêt à redevenir un homosexuel de 1960 s’il le faut pour respecter mon démocratisme,
qui m’est plus cher que mon confort. Je serais de tous les combats pour que l’homosexualité
soit mieux comprise et acceptée; mais je ne le ferais pas par une loi non votée
par la majorité vivante. La lutte serait sans doute plus longue. Mais elle
serait assurément plus pérenne. Et à quel point serait-elle plus longue? À mon
sens, la discrimination ne serait qu’un stimulant au fait de constamment
ramener le débat sur le tapis, ce qui est la meilleure manière de faire évoluer
les mœurs. Reposer sur une constitution pour croire que tout est gagné, et ne
pas réaliser que la haine, la condamnation, l’incompréhension survivent :
voilà ce que je refuse.
Le constitutionnalisme est perçu comme un progrès politique
pour la raison suivante : donner une forme plus fixe à la manière dont
fonctionne un État – un squelette, un corps, une « constitution » au
sens premier du terme –, ce serait fixer l’esprit qui fonde cet État et s’assurer
qu’il se retrouve dans toutes les décisions ensuite prises par l’État. On
réfléchit la chose comme par analogie avec un individu, en se disant qu’il faut
bien un cerveau pour s’assurer que les membres ne partent pas dans toutes
sortes de directions. Mais un État n’est pas corps, c’est un compromis de
plusieurs corps; et il change aussi rapidement que la somme des changements de
ces derniers, ce qui exige de lui une évolution constante. La constitution l’empêche
plutôt que de la favoriser. Oh! mais tiens, justement. Cette nécessité de l’adaptation
de la loi n’est-elle pas une idée qui est au-dessus des autres lois, que je
veux défendre plus que les autres? Pas plus que les autres, non, mais avant; sauf
qu’aucune nouvelle loi ne peut la contredire, puisqu’elle les englobe toutes. S’il
existe un progrès politique, il est là. Si une seule loi-au-carré, une seule
loi-sur-la-manière-de-faire-des-lois devait exister, elle devrait être la
suivante : « Que chaque circonstance soit une occasion d’évaluer si les
lois existantes correspondent à ce que nous, citoyens, voulons pour nous-mêmes. »
Ce principe-là est radicalement démocratique. Il est aussi radicalement à
l’opposé de ce que prescrivent les constitutions contemporaines.
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