L’humoriste Léa Stréliski publie chez Québec Amérique
l’essai La vie n’est pas une course. Aussitôt me vient à l’esprit un
duel entre physiciens du 20e siècle. Albert Einstein dit que Dieu ne
joue pas aux dés, et Niels Bohr lui répond : «Qui êtes-vous, Einstein,
pour dire à Dieu ce qu’il doit faire?» Dans cette lignée, j’aimerais
demander : «Qui êtes-vous, Léa Stréliski, pour dire à la vie ce qu’elle
doit être?» Quant à dire ce que signifie le concept, tout humain peut légitimement
prétendre à une définition. De mon côté, j’aime bien celle du biologiste néodarwinien
Richard Dawkins : l’ascension du Mont Improbable. En d’autres mots, la vie
serait effectivement une course – mais verticale.
On comprend que l’idée de Stréliski n’est pas biologique,
mais éthique. Dans ce champ de pratique, une conquête contemporaine est
l’interdiction catégorique de répondre à la question de la vie des autres, qui
a remplacé l’impératif catégorique d’y répondre. Hors de la sphère politique,
où les réponses collectives sont obligatoires, nous avons appris que chacun se
situait seulement sur sa propre échelle de valeur, et qu’il était donc le seul
à pouvoir décider de la vitesse de son ascension. Je demanderais donc encore
plus précisément : «Qui êtes vous pour dire à ma vie ce qu’elle doit
être?»
Je ne lirai pas les 120 pages de ce livre. Je ne considère
pas en avoir besoin pour le critiquer. Le titre en dit beaucoup; les entrevues
avec l’auteure encore plus. Dans un temps pas si lointain, je lisais 200 livres
par année dont les idées semblent recouper les siennes. Je me permets de me
sauver le temps de lecture. Parce que ma vie à la course m’attend. Parce que
j’aime courir. «Ce livre s’adresse aux essoufflés», en dit le résumé. J’aime
courir, donc j’aime être essoufflé. J’aime l’exercice et le recommande à tous. En
tant que futur médecin, je m’en fais même une responsabilité professionnelle.
«De toute façon, plus personne n’a le temps de lire. Vous
n’allez pas me faire croire que vous allez lire 500 pages! Je vous en ai écrit
100, c’est bien assez.» Pour un tel message, c’est trop. Après avoir accepté
implicitement nos vies occupées, qui font que nous préférons les plaquettes aux
briques, elle nous invite à lire un texte qui condamne ce même niveau
d’occupation. J’ai l’impulsion de lui répondre en 100 000 mots pour
déconstruire la contreproductivité de son discours. Je me contente des
600 mots de ce billet de blogue en pensant à ceux qui veulent vivre vite, n'ont plus le temps de lire mais pourront apprécier une justification de leur vie. Je me dis que ces 600 mots suffiront si je
les pense bien.
Ceci est un manifeste pour la complexité volontaire.
Il répond à tant et tant d’appels à la simplicité volontaire. À l’occasion d’un
récent sprint-marathon d’étude, qui m’a forcé à pousser mon instance de
pression interne à la puissance mille, j’ai conscientisé à quel point cette
partie de moi, boostée au Surhomme nietzschéen et au révolutionnarisme
marxiste, y occupait une place importante. Je me dis désormais posthéroïque.
Mais je continue d’en appeler à une mobilisation humaine intégrale.
Accélérez autant que vous le voulez; assurez-vous d’aller à
votre rythme : demandes complémentaires plutôt que contradictoires. Notre
vitesse n’est pas celle d’une danse irréfléchie gaspillant de l’énergie, mais
celle d’une chorégraphie finement adaptée à notre valorisation. Ralentir
éternellement parce qu’on en a besoin un moment, c’est jeter le bébé avec l’eau
du bain. Souhaiter que tous ralentissent parce qu’on en a soi-même besoin,
c’est jeter le bébé, la parentalité, les générations futures, bref l’ensemble
du mouvement humain avec l’eau du bain. Doctor-disapproved. Que
tout ralentissement ne serve qu’à reprendre son élan pour mieux recommencer son
ascension sur l’échelle de valeur de sa vie : c’est mon espoir pour le 3e
millénaire.
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