Ce titre, coiffant un texte écrit lors de et pour
la Journée internationale des femmes, pourrait donner l’impression qu’il s’agira
de mansplaining. Il s'agira plutôt de tout le contraire. Je présente ma thèse d’entrée de jeu : une femme est ce qu’elle
décide de faire d’elle-même; chaque femme est la seule à pouvoir répondre à la
question de ce qu’est une femme, à travers son propre exemple; le féminisme, du
moins le seul que je considère bénéfique pour la femme, est celui qui lui
prescrit, comme seule attitude, une autonomie totale, c’est-à-dire au fond qu’il
abandonne l’idée de lui prescrire quelque attitude spécifique que ce soit. On
devrait appeler ce féminisme «autoféminisme» ou «autonoféminisme», pour le
différencier de tous les féminismes qui prétendent défendre la réalisation féminine
par d’autres moyens. C’est celui que je vous propose. Certains voudront peut-être
me blâmer d’instrumentaliser la lutte historique féministe pour promouvoir mes
idées individualistes. J’accepte le fait, mais ne considère pas que j’en sois à
blâmer, puisque je crois que ces idées individualistes sont précisément le
meilleur outil de la lutte historique des femmes.
J’ai détaillé ailleurs (https://www.fugues.com/255801-article-les-fausses-peurs.html
[5e paragraphe]; il s’agit principalement d’une déconstruction du concept d’«homophobie»,
mais pour la faire, j’utilise l’exemple du mot «féminisme») par quels termes
successifs je m’étais proposé de remplacer «féminisme», et pourquoi.
Finalement, j’en suis venu à l’aimer et à vouloir le garder, parce qu’il peut être
très spécifique, même s’il est souvent très flou. Spécifiquement, il peut
signifier «idée que l’autonomie des femmes est souhaitable». C’est ainsi que je
l’utilise. De la même manière, on peut repérer et nommer de manière très
précise un «antiféminisme» comme opposition à cette idée, venant autant d’hommes
que de femmes – cette idée est importante, et j’y reviendrai très bientôt.
Nommer explicitement les positions est un moyen de mieux les faire se
confronter. Si on utilise «féminisme» et «masculinisme», il n’est pas évident
que l’un exclue l’autre ou soit son opposé direct; on peut fuir le débat en
louvoyant entre des définitions floues. Avec «féminisme» et «antiféminisme»,
cependant, il n’y a aucune ambigüité possible. Il y a aussi affirmation qu’ultimement,
les deux ne peuvent pas cohabiter sereinement.
Pourquoi l’autonomie est-elle le concept-clé de la question? Parce qu’on peut dire de la féminité ce que Kant a dit de l’ensemble des humains
avant les Lumières : qu’ils étaient erronément considérés comme mineurs, c’est-à-dire
inaptes à prendre les meilleures décisions pour eux-mêmes. La femme était mineure
aux mains de son mari, et l’humain, avant les Lumières, était mineur aux mains des régimes
monarchiques qui se prétendaient les seuls capables de le gérer politiquement.
L’autonomie est le droit distinctif de la majorité, c’est-à-dire de l’âge
adulte, parce que ce qui caractérise en propre cet âge, c’est justement qu’on
considère 1) que la personne qui y est rendue est suffisamment développée
intellectuellement pour savoir ce qu’elle veut et comment l’atteindre; 2) qu’elle
est la seule qui peut véritablement savoir ce qu’elle veut, puisqu’elle est la
seule en contact direct avec sa valorisation (son plaisir et sa douleur).
Qu’on puisse dire «la femme de» pour signifier «l’épouse
de» est la preuve la plus flagrante d'une conception de la féminité comme minorité, comme possession. Qu’on continue d’utiliser cette
expression me flabbergaste – alors que peu de gens auraient l’idée de dire «l’homme
de» pour dire «l’époux de». Dans un mariage hétérosexuel, la femme n’est pas à
l’homme comme l’homme n’est pas à la femme : ce sont deux personnes
autonomes qui choisissent de s’unir dans un régime matrimonial qui leur est
mutuellement profitable, sans rien céder cependant de leur autonomie.
Précisément parce que le mariage ne rend pas l’époux plus capable que l’épouse
de savoir ce qui la rend heureuse, comme il ne rend pas l’épouse plus capable
que son époux de savoir ce qui le rend heureux. Le premier grand succès de la
femme a été sa sortie de la minorité en termes amoureux. Son second grand
succès a été, est et continue d’être – car cette lutte est à terminer – sa
sortie de la minorité en termes professionnels.
C’est parce que cette minorité se constate que la
discrimination positive se justifie. C’est parce que les plafonds de verre sont
souvent trop visibles que des quotas peuvent être imposés d’une manière qui révolte
les asexistes, qui veulent s’imaginer que, parce qu’eux seraient capables de faire
totalement abstraction du sexe, tout le monde le ferait aussi. Le but est l’asexisme,
c’est-à-dire le fait que le sexe ne soit considéré, au niveau des relations
interpersonnelles, que dans les chambres à coucher de la nation (et dans le jeu
de l’amour et de la séduction qui y mène). Le féminisme est un moyen : il
est une défense qui entend s’appliquer à toutes les occasions où il est
évident que le sexe d’une femme est utilisé contre elle pour l’empêcher de s’accomplir
à son plein potentiel. Quand ces occasions sont la norme plutôt que l’exception,
la défense doit aussi être normale.
Je dois finir en disant de quel féminisme je me dissocie; et non seulement expliquer pourquoi je m’en dissocie, mais essayer de vous convaincre qu’il n’est, au fond, qu’une autre forme d’antiféminisme. Je prendrai, pour valeur d’exemple, le cas de Margaret Thatcher. La Dame de fer a brisé bien des plafonds de verre. Plusieurs disent cependant d’elle qu’elle ne serait pas un exemple à suivre, parce qu’elle aurait réussi là où seuls les hommes réussissaient avant elle en appliquant leurs méthodes. Eh bien? Aurait-on la preuve qu’au fond, Margaret Thatcher avait un caractère doux comme un agneau, et n’a été forte, dure, incisive, qu’à son corps défendant? Pourrait-on démontrer qu’elle s’est soumise aux règles des hommes en utilisant des moyens similaires aux leurs, alors qu’elle aurait souhaité changer les règles de la politique? De ce qu’on sait d’elle, il est plutôt probable que ces méthodes, que ce caractère, que ces règles, convenaient parfaitement à sa personnalité. Ç’aurait été en adoptant une douceur historiquement considérée comme féminine, plutôt qu’une férocité historiquement considérée comme masculine, qu’elle aurait abandonné son autonomie, et qu’elle aurait laissé d’autres critères que les siens la définir. Qu’est-ce que Margaret Thatcher? Une femme qui a élargi la définition de ce qu’est une femme, et de ce qu’elle peut devenir. Qu’est-ce qu’une femme? Ce que femme veut être. Qu’est-ce que devrait être une femme? Une personne qui ne se laisserait pas dire comment elle devrait agir parce qu’elle est de sexe féminin, mais devrait toujours revenir à ce qu’elle sait être et vouloir devenir.
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