Votre entrevue avec Marie-Louise Arsenault (féroce, mais fair) et votre chronique publiée en réponse sont le talk of the town québécois de la semaine. Je ne peux faire autrement que de m’adresser à vous, que je considère comme un grand esprit de la nation – malgré vos errances occasionnelles. Je le fais en espérant vous conscientiser au fait que votre jeunisme est aussi limitatif que l’âgisme que vous déplorez.
L’ÂGE, OBSTACLE À LA PERTINENCE?
«Au Québec, l’âge est un obstacle», titrez-vous. Je suis d’accord avec vous. Mais ce peut être un âge élevé, comme dans votre cas, autant qu'un âge bas, comme dans le mien. Je vous donne un exemple. J’ai reçu, pour mon premier roman, que j'ai publié à 15 ans, un prix littéraire de l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse (AÉQJ). Je l’ai accepté avec hésitation, considérant que mon roman n'était pas un livre jeunesse et que c'était malheureux qu'on l'ait classé comme tel rien que sur la base de mon jeune âge. J’ai manifesté cette hésitation. On m’a à peu près traité d’ingrat.
Combien de fois n’ai-je pas été diminué par des personnes qui avaient 10, 20, 30, 40, 50 ans de plus que moi, même si je me sentais – même si je me savais – plus intelligent qu’elles? L’âge est un obstacle seulement pour ceux qui le considèrent comme une juste mesure de la valeur humaine, et c'est ceux-là qu'il s'agit de convaincre du contraire. Encore faut-il les convaincre efficacement.
Ce qui fait la «pertinence», Mme Bombardier – pour reprendre le mot de Mme Arsenault qui vous a de toute évidence profondément piquée –, c’est un mélange d’expériences et de réflexions faites à leur propos. On peut avoir davantage vécu à 20 ans que d’autres à 100 ans. Et on peut avoir moins vécu à 20 ans que d’autres à 100 ans, mais avoir plus et mieux réfléchi qu’eux sur sa vie et la vie en général.
FONTAINE DE JOUVENCE COGNITIVE
Je vous souhaite de rester pertinente encore longtemps. Je considère que vous l’êtes encore. Mais je considère aussi que vous passez à côté de beaucoup de bons côtés du 3e millénaire. Vous avez beau vous dire inactuelle, vous ne l’êtes pas assez. Vous regrettez cette époque où respecter ses ainés, c’était se taire (dixit votre mention de Judith Jasmin à Dans les médias). Lorsque vous étiez étudiante, vous détonniez de vos ainés par votre anticléricalisme, c'est bien; à 49 ans, vous vous êtes brillamment opposée à Gabriel Matzneff, qui avait 54 ans, envers et contre tous ceux qui fermaient les yeux ou pardonnaient trop facilement sa pédophilie, c'est excellent; mais vous voudriez maintenant que les jeunes boivent les conseils des vieux comme paroles d'Évangile. Être inactuel devrait empêcher d'être traditionnaliste. Vous êtes – malheureusement – devenue conservatrice.
Ce n’est pas votre âge qui vous rend pertinente, Mme Bombardier. C’est votre cerveau puissant, votre verve enthousiasmante, votre audace de dire l’indicible. Je vous en prie : ne reposez pas sur les lauriers de vos 80 années. Ce serait le plus grand danger pour votre pensée. Aiguisez cette arme qu’est votre jugement, pour le moment acéré, mais que le temps risque toujours d'émousser. Il s’aiguisera encore mieux en se confrontant à la jeunesse. Pour vous y confronter de la manière la plus efficace possible, vous devez cependant commencer par croire qu’elle peut être pertinente, elle aussi.
Ne répétez pas l’erreur jeuniste que vous avez commise envers Mme Arsenault en 1998. Admettez-le, vous en avez fait les frais : elle a terrassé vos sophismes avec une énergie qui n’avait d’égale que sa rigueur. Reconnaissez la possibilité que les jeunes aient parfois raison sur vous. Une telle autocritique restera toujours le seul moyen par lequel vous pourrez continuer d’avoir parfois raison sur eux.
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